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Comment éviter une guerre commerciale

Lundi 16 Juillet 2018

En allant à l'encontre du bon sens, des avis des entrepreneurs et des élites financières, le Président américain Donald Trump semble se réjouir à l'idée d'une guerre commerciale. Le 6 juillet, ses dernières restrictions commerciales - des droits de douane de 25 % sur près de 34 milliards de dollars d'importations chinoises - sont entrées en vigueur. Elles ont été promptement suivies par des droits de douane de représailles sur un volume équivalent d'exportations américaines vers le marché chinois.


Trump a menacé de lancer de nouvelles mesures contre la Chine, comme des droits de douane sur des importations d'automobile en provenance d'Europe. En outre, il se peut qu'il retire les États-Unis de l'Accord de libre-échange nord-américain si le Mexique et le Canada n'acceptent pas de le modifier selon ses desiderata.
Le protectionnisme inconsidéré de Trump ne fait pas grand-chose pour aider la classe ouvrière qui a favorisé son élection. Certains Républicains insatisfaits du Congrès et certaines entreprises mécontentes qui l'ont soutenu sur d'autres sujets peuvent pourtant le contenir. Mais ceux qui, comme moi, ont cru que les menaces de Trump ne seraient pas suivies d'effet  sur le commerce reconsidèrent la question en se demandant où de telles mesures peuvent nous mener.
Mais avant de nous laisser emporter par nos scénarios de fin du monde sur le commerce, nous devons également tenir compte des conditions favorables pour certains autres pays ; Trump peut bien vouloir une guerre commerciale, mais il ne peut pas l'avoir à lui tout seul. Une guerre commerciale exige que d'autres économies contre-attaquent et déclenchent une escalade. Il existe des raisons contraignantes pour lesquelles elles ne devraient pas agir en ce sens.
Selon le scénario habituel, une contre-attaque commerciale se produit parce que des pays ont des raisons économiques de se démarquer des droits de douane faibles. L'expérience historique canonique s'est déroulée au début des années 1930, quand des pays ont été pris dans la Grande Dépression, avec son chômage élevé et ses remèdes politiques insatisfaisants. La politique budgétaire anticyclique n'était pas encore à la mode - la Théorie générale de Maynard Keynes n'a été publiée qu'en 1936 - tandis que l'Étalon or rendait la politique monétaire plus qu'inutile.
Dans ces circonstances, le protectionnisme commercial a paru logique pour chaque pays considéré individuellement, puisqu'il déplaçait la demande en marchandises étrangères et favorisait donc l'emploi national. (Naturellement, pour tous les pays considérés ensemble, le protectionnisme annonçait la catastrophe : un décalage des dépenses d'un pays était plus que compensé par les décalages des autres pays.)
Les économistes considèrent également un autre scénario qui se concentre sur ce que l'on appelle les effets des termes de l'échange de droits de douane. En limitant les volumes des échanges, un grand pays ou une grande région peut manipuler les prix auxquels elle fait concurrence sur les marchés mondiaux à son avantage. Une taxe sur les importations, en particulier, aura tendance à faire baisser les prix mondiaux des marchandises importées, tout en augmentant leurs prix taxe comprise - avec le Trésor public national qui récolterait la différence sur les revenus de ces taxes.
Ni l'un ni l'autre de ces scénarios ne semble très logique de nos jours. L'Europe et la Chine ne sont pas particulièrement intéressées par l'idée de faire baisser les prix mondiaux de leurs importations, ni par les revenus qui en découlent. Les considérations d'emploi ne sont pas non plus une question importante. Alors que quelques pays dans la zone euro souffrent des niveaux élevés du chômage, il n'y a rien que le protectionnisme ne puisse faire pour ces pays que la politique budgétaire expansionniste ou monétaire (la dernière par l'intermédiaire de la Banque centrale européenne) ne puisse faire mieux.
Si l'Europe, la Chine et d'autres partenaires commerciaux devaient exercer des représailles en réponse aux droits de douane de Trump, cela réduirait simplement leurs propres gains commerciaux sans récolter aucun avantage du protectionnisme. Et ils feraient une faveur à Trump en accordant une plausibilité de surface à ses plaintes au sujet de « l'injustice » des politiques commerciales d'autres pays vis-à-vis des Etats-Unis. Pour le reste du monde, élever des barrières aux échanges commerciaux reviendrait à scier la branche sur laquelle nous sommes assis.
En outre, si l'Europe et la Chine veulent confirmer un régime commercial multilatéral fondé sur le droit, comme cela est bien le cas, elles ne peuvent pas refléter l'unilatéralisme de Trump et prendre des mesures elles-mêmes. Elles doivent passer par l'Organisation Mondiale du Commerce et attendre l'autorisation formelle de contre-attaquer, sans attendre une résolution rapide, ni que Trump ait beaucoup de respect pour cette éventuelle décision.
Bref, l'intérêt personnel et le principe conseillent la retenue et non la revanche (immédiate). C'est le moment pour l'Europe et la Chine de garder la tête haute. Elles doivent refuser de se laisser entraîner dans une guerre commerciale et dire à Trump : vous êtes libre de nuire à votre propre économie ; nous nous en tiendrons aux politiques qui fonctionnent mieux pour nous.
Pourvu que d'autres pays ne réagissent pas de façon excessive, le protectionnisme de Trump n'a pas besoin d'être aussi coûteux que tant de personnes tentent de le faire paraître. La valeur du commerce couvert par les mesures et contre-mesures résultant des politiques commerciales de Trump a déjà atteint 100 milliards de dollars et Shawn Donnan du Financial Times reconnaît  que ce chiffre pourrait bientôt atteindre plus de mille milliards de dollars, soit 6 % du commerce mondial. C'est un chiffre considérable. Mais un tel chiffre suppose des représailles, qui n'ont pas besoin de se produire.
Fait plus important encore, ce qui compte, c'est les revenus et le bien-être, pas le commerce per se. Même si le volume d'échanges subit un important impact, la performance économique globale n'a pas besoin de beaucoup en pâtir. Quelques lignes aériennes européennes préfèrent Boeing à Airbus, alors que quelques lignes aériennes américaines préfèrent Airbus à Boeing. Les restrictions commerciales peuvent avoir pour conséquence un effondrement total de ce large volume d'échanges bidirectionnels d'avions entre les États-Unis et l'Europe. Mais la perte totale de bien-être économique serait faible, à condition que les lignes aériennes considèrent les deux produits des sociétés comme des produits de substitution très proches.
Cela ne va pas vraiment réduire au minimum les coûts que des sociétés européennes et chinoises spécifiques peuvent encourir à l'heure où le marché américain se ferme. Mais pour chaque exportateur forcé de rechercher des marchés alternatifs, il peut y avoir une autre société nationale pour laquelle se présente une nouvelle opportunité économique. Alors que le commerce américain se rétrécit, il y aura également moins de concurrents américains et moins de concurrence américaine.
Les économistes font typiquement la remarque inverse, quand ils débatent contre le fait de se concentrer excessivement sur les perdants d'une libéralisation des échanges et quand ils décrient la tendance visant à négliger les bénéficiaires du côté des exportations. Ils ne devraient pas être enclins à la même erreur à présent, en ignorant que le protectionnisme américain va sûrement faire quelques bénéficiaires également dans d'autres pays.
Le protectionnisme de Trump peut pourtant déboucher sur une guerre commerciale mondiale, avec des conséquences économiques certaines qui sont bien plus sérieuses bien que le mal qu'il s'inflige à lui-même actuellement. Mais si cela se produit, cela sera autant le résultat de l'erreur de calcul et de la réaction exagérée de la part de l'Europe et de la Chine, que celle de la folie de Trump.
Dani Rodrik, professeur d'économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l'Université de Harvard. Il a publié Straight Talk on Trade: Ideas for a Sane World Economy.
© Project Syndicate 1995–2018
 


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